En 1946, la population de Rueil est de 27 000 habitants, en 1958 elle grimpe à 43 949 habitants pour atteindre plus de 60 000 habitants à la fin des années 60. Après la Guerre, l’accroissement de la population dans la région parisienne fait de Rueil-Malmaison la 3e en importance du département. Cette poussée démographique a été favorisée par une immigration permanente et aussi par l’augmentation du nombre des naissances (en 1958, 892 contre 410 décès). Rueil-Malmaison présente ainsi les deux caractéristiques essentielles des grandes villes de la région parisienne : « commune dortoir » (elle héberge une population qui dans sa majeure partie travaille à Paris et dans les localités voisines) et « commune champignon ».
La municipalité en place tente par des réalisations urbanistiques de résoudre la crise du logement. Marcel Pourtout, le maire, déclare dans le bulletin municipal numéro 5 en date du 2e trimestre 1965 : « les projets qui me tiennent le plus à cœur mais me créent aussi le plus de difficultés et de soucis : je veux parler de la construction d’immeubles afin de palier le fléau social qu’est le manque de logements ». D'après une enquête menée par la Mairie en 1954, on dénombre 115 locaux insalubres, 44 familles logées en hôtel, 141 ménages hébergés, 162 logements trop petits, 46 ménages menacés d’expulsion. L'enquête révèle que 1660 logements sont nécessaires pour satisfaire toutes les demandes déposées. La Mairie (avec son Bureau municipal d’Urbanisme) lance plusieurs chantiers. Citons par exemple, la Fouilleuse, les Martinets.
Le premier projet mené est celui qu'on appellera par la suite « Rueil-Plaine », situé le long de la nouvelle voie entre Chatou et Nanterre, sur la Route Nationale 190. On trouvait sur cette zone, depuis les années 1830, de grandes sablières ouvertes, utilisées afin d’extraire des matériaux pour la construction du chemin de fer ou l'aménagement des rues. Dès 1957, on décide la construction d'un grand groupe de logements et des maisons doivent être déplacées sur rail.
Au final, ce sont 100 pavillons réservés à des familles nombreuses ayant 4 enfants au minimum et l’érection de deux immeubles de logements sociaux pour permettre le relogement de personnes vivant dans des bidonvilles. Ces deux bâtiments hauts de 9 étages sur sous-sol et rez-de-chaussée, totalisent respectivement 209 et 116 logements, de type HLMB et présentent chacun la forme d'un L ouvert. Ils respectent les codes esthétiques et de modernité de l'époque. Sur les façades principales, côté jardins d'agrément et aires de jeux pour enfants, s'ouvrent les larges baies des salles de séjours, donnant sur loggias alors que les pièces secondaires (cuisines, salles d'eau et séchoirs), les cages d'escaliers et entrées de service sont groupées sur les façades arrière. En tout, ce sont 2000 logements qui sont édifiés en quelques années dans le quartier.
C'est tout un nouveau quartier qui se crée. Et pour ravitailler sa population, la commune prend la décision d'y faire construire le premier centre commercial de France. Les réflexions commencent dès 1957. Il est finalement inauguré le 15 octobre 1958 par M. Sudreau, ministre de la construction, M. Domange, préfet de Seine-et-Oise et M. Pourtout, maire de Rueil. Ce centre regroupe de nombreux commerçants et des services sociaux et culturels. Le but étant la mise en place d'un système de distribution commercial moderne et rationnel, satisfaisant tout à la fois les vendeurs et les consommateurs. Et de la sorte, remédier au fléau des « villes dortoirs » et limiter le déplacement des banlieusards vers la capitale.
MHL, Inauguration du centre commercial Colmar, M. Pourtout maire de Rueil-Malmaison et M. Sudreau, ministre de la construction, 1958, photographie
Archives communales de Rueil-Malmaison, 1 I 29, Discours de M. Pourtout, maire de Rueil-Malmaison lors de l'inauguration du centre commercial Colmar, 1958
Archives communales de Rueil-Malmaison, 1 I 29, Discours de M. Pourtout, maire de Rueil-Malmaison lors de l'inauguration du centre commercial Colmar, 1958
Archives communales de Rueil-Malmaison, 1 I 29, Discours de M. Pourtout, maire de Rueil-Malmaison lors de l'inauguration du centre commercial Colmar, 1958
Archives communales de Rueil-Malmaison, 1 I 29, Discours de M. Pourtout, maire de Rueil-Malmaison lors de l'inauguration du centre commercial Colmar, 1958
Archives communales de Rueil-Malmaison, 1 I 29, Discours de M. Pourtout, maire de Rueil-Malmaison lors de l'inauguration du centre commercial Colmar, 1958
Entre 1945 et 1973, la France a connu la plus forte expansion économique de son histoire. L'économiste français, Jean Fourastié, lui a donné le nom de « Trente Glorieuses ». Cette croissance s’est accompagnée de profondes mutations de l'appareil de production agricole et industriel et d'une progression rapide du niveau de vie. On note également l'avènement de la société de consommation de masse : confort électroménager, automobile, propriété du logement... Les dépenses de biens de consommation durables, liées à l'hygiène et la santé, aux loisirs, augmentent aux dépens de l'alimentation et de l'habillement. L'édification du centre commercial Colmar est la conséquence symptomatique du rapide développement économique de la ville.
Il constitue la première réalisation du promoteur S.E.G.E.C.E (Société d’Études et de Gestion des Centres d’Équipement) spécialistes des centres dits de proximité. Il s'agissait d'installer un supermarché (un Express Marché d’environ 560 m² de produits en libre-service et plus de 2000 articles au total, une révolution) auquel étaient accolés quelques commerces à fréquentation quotidienne, comme le kiosque à journaux, le bar-tabac, la boulangerie mais aussi une palette d'enseignes complémentaires d'ordre ménager ou social, voire de distractions. On note d'ailleurs la présence d'un cinéma, le Malmaison, à l'angle des rues Martignon et Estienne d'Orves.
Se crée tout un lieu de vie, c'est une petite ville dans la grande. Le groupe de Rueil-Plaine est complet puisque son centre commercial lui assure une autonomie de vie propre. Avec son énorme surface commerciale à ciel ouvert, d'un urbanisme nouveau, c'est un centre attractif égayés par des jardins et des fontaines, comme en témoignent les photographies ci-dessous. Il est uniquement réservé aux piétons et un passage souterrain sous la nouvelle route nationale lui permet un accès aisé.
Le centre commercial est un succès. A l'époque, le quartier est majoritairement peuplé de jeunes couples modestes avec enfants, ravis de se ravitailler en bas de chez eux, près des écoles (d’autant que la généralisation du travail des femmes les incite à regrouper leurs courses en fin de semaine).
Le Centre Commercial est baptisé Colmar, tout comme l'ancienne RN190 qui devient avenue de Colmar par une délibération municipale du 19 juin 1967 (sur la proposition d'Alain Mantois). Après cinq ans de travaux, cette voie qui conduit au pont de Chatou est d'une modernité flamboyante. Il s'agit d'une artère à deux voix larges chacune de 12 mètres, longée par une voie d'évitement protégée par un terre plain connu d’où s'élancent de hauts lampadaires à double branche et des plantations basses.
Ces dénominations se font en souvenir du Traité de Colmar, signé en 1635 dans le château de Richelieu. En 1632, l'Alsace épargnée jusque-là de la guerre de Trente Ans, voit déferler les troupes suédoises. Colmar passe alors sous la protection du roi de Suède. Le 19 avril 1633, la France rentre dans l'alliance avec la Suède et les États d'Allemagne du Sud (dont la fédération des dix villes impériales d’Alsace ou Décapole) contre les Habsbourg. Après la défaite des Suédois le 6 septembre 1634, la France prend le relais de la Suède dans la lutte contre les impériaux et obtient le 9 octobre suivant de prendre sous sa protection les places alsaciennes qui étaient occupées par les troupes suédoises. Les pourparlers aboutissent au traité de Rueil le 1er août 1635. Traité par lequel Colmar « avec tous ses bourgeois et habitants comme aussi son territoire, dépendances et appartenances fut reçue en la protection du Roy très chrétien pour y être et demeurer jusqu'à la pacification de cette guerre présente, en Allemagne, laquelle arrivant ladiste ville sera remise en l'Etat, auquel elle a été avant le commencement de ces troubles en Allemagne et en Bohème ». Ainsi est rédigé l'article 2 de ce traité signé à Rueil (alors écrit Ruel) au nom du Roi Louis XIII, par le sieur Bouthillier, compte de Chavigny et de Buzançais, secrétaire d’État aux affaires étrangères, et Jean Henri Moog, syndic et député de Colmar. Il fut ratifié par Louis XIII le 3 août 1635, à Chantilly. Il fut paraphé une seconde fois, en 1644, par Louis XIV. Aux termes de ce dernier, le roi de France reconnaît à Colmar sa qualité de cité impériale et lui assure sa protection militaire jusqu’à la fin des hostilités.
ACRM, 1I29, Reproduction du Traité de Rueil-Malmaison conservé aux archives communales de Colmar sous la cote AA 143
ACRM, 1I29, Reproduction du Traité de Rueil-Malmaison conservé aux archives communales de Colmar sous la cote AA 143
ACRM, 1I29, Reproduction du Traité de Rueil-Malmaison conservé aux archives communales de Colmar sous la cote AA 143
ACRM, 1I29, Reproduction du Traité de Rueil-Malmaison conservé aux archives communales de Colmar sous la cote AA 143
ACRM, 1I29, Reproduction du Traité de Rueil-Malmaison conservé aux archives communales de Colmar sous la cote AA 143
L'inauguration de l'avenue de Colmar se fait le samedi 22 avril 1967 en grande pompe. Sont invités plusieurs personnalités dont le maire de Colmar, M. Joseph Rey et la « Reine des Alsaciens de Paris », la colmarienne Martine Schwieger. Rueil passe 10 jours de « fêtes alsaciennes » avec défilé folklorique et spécificités locales.
MHL, Inauguration de l'Avenue de Colmar de gauche à droite, Martine Schwiegger, M. Rey, Maire de Colmar, Mme Rey, Jacques Baumel, préfet de Seine-et-Oise, M. Pourtout, maire de Rueil-Malmaison, 1967, photographie
MHL, Inauguration de l'Avenue de Colmar de gauche à droite, Martine Schwiegger, M. Rey, Maire de Colmar, Mme Rey, Jacques Baumel, préfet de Seine-et-Oise, M. Pourtout, maire de Rueil-Malmaison, 1967, photographie
Le centre commercial Colmar de Rueil-Malmaison est réellement précurseur dans le domaine. Dès la fin de l'année 1974, la France compte déjà 230 centres du même genre. A l'image de ce qui se construit aux États-Unis, il s'agit d'offrir un cœur commercial aux gigantesques villes nouvelles qui se bâtissent (citons Parly 2 et Vélizy 2, tous deux dans les Yvelines, Belle-Epine et Créteil, dans le Val-de-Marne).
Plus d'un demi-siècle plus tard, le centre trône toujours rue d'Estienne-d'Orves, près de l'avenue de Colmar. Mais pas vraiment à l'identique. Démoli, reconstruit et rouvert en décembre 2007 suite à un incendie qui l'avait presque entièrement détruit en 2003.
Auteur : Julie VAVON, archiviste
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