En lumière

MAI 1936 À RUEIL-MALMAISON

Document du mois

RUEIL DANS LA GRANDE DÉPRESSION DES ANNÉES 1930

En 1936, Rueil-Malmaison est toujours une commune à dominante rurale. Toutefois, depuis les années 1910, elle est entrée de plain-pied dans l'ère industrielle. La Grande Guerre est le moment clef de cette transformation. Se sont déployés les ateliers militaires (Docks de Rueil), la construction automobile (Hurtu, Pourtout), des industries de transformation (Wood-Milne, Croix de Lorraine, La Roue Française, Spencer Moulton, Cuttat, Bernard Moteurs), des fonderies et forges (Thome-Crombach, Partiot), une industrie photographique (Bauchet), des usines électriques (Compagnie des Signaux, Télémécanique Électrique, Gilbert-Wire), des activités de recherches (Établissements Belin) et des sociétés pharmaceutiques (Mayoly Spindler, Drouet et Plet, Opodex).

Une cinquantaine d’entreprises industrielles s'est installée sur l'ensemble du territoire de la commune en moins de trente ans. Cet essor industriel change la physionomie de la ville et modifie la structure de la population : une véritable culture ouvrière s'enracine. Bernard-Moteurs, qui compte déjà près de 400 ouvriers constitue l'exemple type de l’entreprise paternaliste dirigée par une famille d'industriels. L'entreprise fait construire des logements et des maisons pour ses ouvriers, près de l'usine. La fonderie Thome-Crombach emploie une centaine de personne, tout comme la Compagnie des Signaux pour Chemins de Fer.

En octobre 1929, une crise financière et économique sans précédent s'abat sur les États-Unis. Rapidement, elle s'étend avec plus ou moins de retard à l'ensemble de pays développés. La France est touchée à partir de 1931-1932. Les efforts d’assainissement monétaires des années suivantes ne réussissent pas à endiguer la dépression économique qui touche le secteur industriel plus profondément que l’agriculture.

 

A Rueil, le ralentissement de l'activité est perceptible. Les nouveaux établissements industriels comme Cuttat (machines-outils de précision) installés près de la gare, sont touchés. Inaugurée en 1931 avec 330 salariés, l''usine doit réduire son activité (baisse du chiffre d'affaires, renvoi de la main d’œuvre qui passe à 100 ouvriers et baisse des salaires). Par ricochet, faute de pouvoir d'achat, les classes populaires consomment moins et donc les commerçants et artisans sont touchés eux aussi. A la fin de l'année 1938, 12 000 des 26 000 habitants de Rueil sont inscrits au chômage. La municipalité alimente un fond de chômage, on distribue vêtements et charbons.

UNE VIE POLITIQUE RUEILLOISE QUI SE RADICALISE

A Rueil, le climat politique se ressent de ce contexte difficile. Aux élections municipales de mai 1935, la droite rueilloise recule. La campagne électorale est vive entre la liste Montagne (maire en place) et les forces de gauche. Le Maire bénéficie du soutien d'un groupe de commerçants qui s'adressent à leurs confrères en ses termes : « maintenant il ne s'agit plus de rigoler. Vous savez ce qui vous attend si dimanche socialistes et communistes s'emparent de la mairie de Rueil, c'est nous qui paierons les pots cassés. Dans toutes les villes aux mains du Front Populaire, les habitants sont écrasés d’impôts, les communistes ont supprimé le commerce en Russie ». Des affiches reproduisent des socialistes riches, opulents, Blum qui mange de la vaisselle d'or, une affiche se termine par une exhortation : « votez contre les socialistes, contre les seigneurs masqués de l'Internationale ouvrière. Votez pour la liste Montagne ».

LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DE MAI-JUIN 1936 : LE BASCULEMENT

En 1936, la crise économique sévit toujours, l'action des « Ligues », à tendance plus ou moins fascisantes, inquiète un grand nombre de français, ce qui facilite à gauche la formation du « Front Populaire ». Il s'agit, le 10 janvier 1936, de l'adoption d'un programme de gouvernement entre SFIO, socialistes indépendants, radicaux et communistes. Le programme se résume en un slogan : « le pain, la paix, la liberté ».

La campagne en vue des législatives commence dès janvier 1936. A Rueil, le 28 janvier, les Croix de Feu organisent une réunion à l'Imperator, qui rassemble une centaine de personne. La SFIO mobilise également ses troupes. Le Travailleur de Seine-et-Oise, organe de Fédération socialiste, rend compte des nombreux Fronts Populaires locaux constitués et des demandes d'orateurs pour animer les réunions. La SFIO compte alors 300 000 adhérents (premier parti de gauche) dont 6 000 en Seine-et-Oise. Les militants communistes organisent également des meetings, d’autant plus qu'ils ont remportés des sièges aux municipales. Le gonflement de leurs effectifs est spectaculaire dans le pays : de 90 000 militants en février 1936 on passe à 300 000 en novembre.

La participation est forte partout : 84% dans le pays et 87% à Rueil. En Seine-et-Oise, les suffrages se sont portés sur 7 candidats principaux, le candidat communiste Pierre Dadot fait presque jeu égal à lui tout seul avec le candidat conservateur Adam, arrivé en tête. C'est finalement Dadot (grâce aux alliances du deuxième tour) qui l’emporte. Les résultats du département confirment l'ampleur des évolutions : sur 15 députés, 9 sont communistes, un est socialiste, 3 radicaux ou indépendants, 2 conservateurs. A Rueil se trouve ainsi confirmée la répartition sociologique des votes: le plateau et Buzenval à majorité ouvrière ont plébiscité Pierre Dadot (déjà conseiller municipal) tandis que les électeurs du centre-ville restent à droite.

A l'annonce de la victoire de Pierre Dadot, la liesse populaire éclate devant la mairie. Talamas, Dadot et Charrière représentant les trois composantes du Front Populaire montent sur une estrade, poings levés, en chantant l'Internationale, puis la Marseillaise. Dadot apparaît en haut du grand perron provoquant un enthousiasme fort.  Il invite à défiler dans les rues de la ville. Le cortège se forme alors à l’Hôtel-de-ville, se rend place de l’Église puis rue du Château et rue Haute.

La nouvelle Chambre des Députés regroupe 378 élus du Front Populaire contre 220 qui lui sont hostiles. Léon Blum devient président du Conseil. A Paris et dans la région parisienne, le Front Populaire est largement vainqueur, on parle à juste titre de « ceinture rouge ». Les villes voisines, Nanterre, Colombes, Boulogne sont devenues communistes, Puteaux et Suresnes restent socialiste.

LES « GRÈVES DE LA JOIE »

Dès le 11 mai, les travailleurs demandent des changements rapides. Des grèves éclatent d’abord dans les usines Bréguet (qui ont licencié des ouvriers ayant chômés le 1er mai), et gagnent toute la France et tous les secteurs d'activités, y compris moins syndicalisés (grands magasins). 2 millions de travailleurs font grève en occupant leur lieu de travail. Ces grèves témoignent davantage d'une lassitude de la crise que d'une envie de révolution. Cependant, elles provoquent l’effroi chez les patrons hantés par les expropriations des bolcheviks en URSS.

 

Localement, peu de renseignements précis sur ce mouvement social. La correspondance administrative de juin 1936, permet de dresser une liste des principaux établissements rueillois en grève. Ce sont les plus grandes entreprises : Domage, l'aciérie Thome-Crombach dont le directeur porte plainte, La Croix de Lorraine, la manufacture métallurgique de la Jonchère, Bernard-Moteurs... L'agitation est menée par le parti communiste, qui distribue des soupes populaires. Le 14 juillet 1936 est, comme à Paris, l’occasion d'une manifestation politique avec drapeaux rouges, harangues de Dadot et Charrière place de la Réunion et grand bal le soir.

 

Ces grèves ne facilitent pas les négociations entre ouvriers et patrons. En effet, devant ce mouvement populaire inattendu par le gouvernement, celui-ci décide de favoriser des accords entre patronat et syndicats. Les accords Matignon sont signés le 7 juin. En quelques jours, conventions collectives, augmentations de salaires, congés payés (15 jours) et semaine de 40 heures sont votés, les grèves cessent peu à peu.

 

Le gouvernement Blum a soulevé des grands espoirs dans les classes populaires mais il se heurte rapidement à des contradictions et des difficultés. La crise économique est toujours là, la production stagne, le chômage aussi, les forces conservatrices résistent, le contexte international empire (guerre civile en Espagne, initiatives conquérantes de Hitler et Mussolini). De plus, dès la fin de 1936, la fuite des capitaux, la dévaluation du Franc, l’antisémitisme ont raison de ce premier gouvernement.

L'ÉLECTION D’ÉDOUARD BOULANGER (JUIN 1938)

Alors que le Front Populaire se délite peu à peu, à Rueil l’agitation est à son comble. A partir de l’élection de Pierre Dadot au conseil municipal en 1935 puis à la députation en 1936, les délibérations du conseil sont longues et souvent houleuses. Le but des élus de gauche est de provoquer la démission du maire Neveu et de son équipe qui, estime-t-on, se trouve minoritaire dans l’opinion. Le maire est sous pression, on lui reproche une insuffisance d'écoles et de distractions (pas de salles des fêtes, de bibliothèques, de patronage...), le syndicat du Bâtiment de Rueil et environs réclame une Bourse du travail spacieuse et aménagée pour tous les syndiqués. Le personnel communal à l’instigation de son syndicat lui adresse un cahier de revendications qui seront discutés le 29 juin : une augmentation des salaires de 11,7% et accordée (au lieu des 15 demandés), et une affiliation à la caisse mutuelle du personnel des communes de la Région parisienne.

Le Conseil Municipal finit par démissionner en juin 1938. De nouvelles élections municipales sont organisées, remportées par le Parti communiste, du fait, sans nul doute, de la nouvelle population ouvrière qui s’accroît dans la commune. Le nouveau conseil municipal se compose donc de 10 conservateurs, 15 communistes, 1 socialiste et 1 centriste. La droite n'est plus majoritaire (11 sièges) et passe la main aux communistes. C'est une révolution locale mais qui s'est déjà accomplie dans bien des villes de la banlieue parisienne. Le 18 juillet, Édouard Boulanger est élu maire. Né en 1908, à Asnières, journaliste à l'Humanité, il déclare que la nouvelle majorité représente une « population laborieuse : ouvriers, riverains, commerçants ».


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